Florence est le théâtre de deux actes d’une portée internationale ayant trait au patrimoine paysager : la charte Icomos des jardins historiques de Florence (22 mai 1982) et la Convention européenne des paysages de Florence (20 octobre 2000).
Cet écho entre un patrimoine paysagé (le jardin) et le paysage patrimonialisé traduit la compréhension qu’il y a d’un passage entre le paysage comme bien personnel à transmettre au paysage comme bien commun à léguer à la collectivité.
Dans ces paysages patrimonialisés, des auteurs opposent le paysage à matrice politique, aménagement de lieux, qui incarne le(s) pouvoir(s), à celui vernaculaire, paysage vécu par une communauté1
. Si les sites royaux en Europe sont un exemple frappant de paysage politique, la “cristalisation” du paysage vernaculaire est évidente dans le territoire rural.
L’historien Marc Bloch, dans Caractères originaux de l’histoire rurale française (1931), a dégagé pour la France les différentes strates (structurelles et chronologiques) qui en constituent les traits rémanents.
Depuis la seconde moitié du XXe siècle ce sont les paradigmes sociaux-culturels et écologiques qui se sont imposés dans la perception du paysage. Ainsi, la convention du patrimoine mondial de l’Unesco a introduit dès 1992 le principe de l’inscription du paysage culturel.
C’est en tout cas au travers d’un long cycle, que le paysage a été reconnu dans sa valeur patrimoniale. À cet égard, la Convention européenne des paysages considère dans son préambule, que « le paysage constitue un élément essentiel du bien-être individuel et social, et que sa protection, sa gestion et son aménagement impliquent des droits et des responsabilités pour chacun ».
Au-delà de l’adoption d’une définition commune du paysage (“paysage” désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations), cette convention pousse les États signataires à développer des modalités de gestion et des prescriptions de nature à assurer le maintien des aspects significatifs ou caractéristiques d’un paysage, justifiés par sa valeur patrimoniale.
En France, l’un des piliers de cette politique du paysage est très ancien. En effet, le législateur institue dès 1906 une loi s’intéressant à la conservation de portions naturelles du territoire. Celle-ci sera complétée dans une version définitive le 2 mai 1930 : elle vise à préserver de toute atteinte grave (destruction, altération, banalisation), des monuments naturels et sites présentant un intérêt général du point de vue scientifique, pittoresque, artistique, historique ou légendaire.
De ces critères, découlent en plus d’un siècle, le classement aussi bien d’éléments isolés -rochers, cascades, fontaines, sources, grottes, arbres, points de vue- que d’ensembles patrimoniaux comme des châteaux et leurs parcs, quartiers anciens –de vastes espaces naturels tels que massifs, gorges, vallées, caps, îles- ou des endroits attachés à des événements ou des savoir-faire ancestraux.
Cette diversité des lieux évoque les liens qui unissent le patrimoine sous toutes ses formes à l’environnement –espaces naturels, paysages marqués par l’empreinte de l’homme, écrins paysagers d’ensembles monumentaux. En effet, la loi ne fait pas de distinction entre sites naturels et bâtis. Autre originalité, si l’application de cette législation est aujourd’hui une prérogative du ministère de l’Écologie, elle relevait jusqu’en 1974 du ministère de la Culture. Au demeurant, la mission reste interministérielle, dévolue à deux directions déconcentrées : les DREAL et les DRAC.
Le partage des tâches s’appuie respectivement sur deux corps spécialisés : l’inspecteur des Sites (IS) et l’architecte des bâtiments de France (ABF). Si l’instruction des autorisations implique majoritairement les ABF (avis pour les autorisations déconcentrées en sites classés et sites inscrits), l’inspection des sites joue un rôle prédominant dans la mise en œuvre de la partie politique (classements, plans de gestion, police de l’environnement).
En tout état de cause, cette compétence réciproque nécessite de solides acquis en matière de culture du paysage. C’est, paradoxalement d’autant plus nécessaire pour les ABF, car leur rôle en matière de paysages n’est pas circonscrit aux sites de la loi de 1930. À cet égard, il convient de rappeler que la protection des abords des monuments historiques définie dans l’article L 621-30 du Code du patrimoine, s’applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, et, qu’à ce titre, l’avis de l’ABF peut être motivé sur des notions de paysage, sans qu’il soit nécessaire de faire jouer une servitude du Code de l’environnement.
D’une manière générale, les sites protégés structurent les territoires et participent à leurs identités. Aucune de ces servitudes n’a pour objet ou pour effet d’instituer un principe universel d’inconstructibilité. Toutefois, tout aménagement susceptible de modifier -même de manière temporaire- l’état ou l’aspect de ces lieux, y revêt un caractère dérogatoire dont en définitive, les ABF en sont les principaux garants.
C’est pourquoi, en ces temps de transition écologique, l’ABF participe de la lisibilité de ces politiques publiques attachées à la protection des sites remarquables pour leur paysage. Politiques qui doivent être considérées comme un thème d’avenir.
- Luginbühl, La mise en scène du Monde, la construction du paysage, CNRS édition 2012 ↩